mardi 7 novembre 2017

Les débuts du droit de la photographie


Alexandre Dumas et Adah Menken




La contrefaçon
C'est en 1862 que la photographie fut pour la première fois reconnue comme une œuvre d'art et à ce titre protégée par le droit d'auteur. Les photographes Mayer et Pierson,victimes de contrefaçons, obtinrent un jugement en leur faveur.
Ils avaient fondé un atelier de photographie sur le boulevard des Capucines à Paris. Ils s'étaient notamment spécialisés dans les portraits de l'aristocratie, souvent tirés sur papier salé et qui étaient ensuite aquarellés.
Mais c'est pour deux portraits en noir et blanc qu'ils furent victimes de contrefaçons : celui du comte de Cavour, réalisé quelques années plus tôt en 1856, retiré avec quelques retouches par le photographe Thiébault, et celui de Lord Palmerston contrefait par un certain Schwabbé.

Comte de Cavour, Mayer et Pierson, BNF
Lord Palmerston, Mayer et Pierson, BNF


 

















              Ils s'adressèrent alors à la justice pour obtenir réparation. Ils furent d'abord déboutés en première instance mais la Cour d'appel leur donna raison un peu plus tard dans un arrêt rendu le 10 avril 1862 :
« Considérant que les dessins photographiques ne doivent pas être nécessairement et dans tous les cas considérés comme destitués de tout caractère artistique ni rangés au nombre des œuvres purement matérielles ;
Qu'en effet ces dessins, quoique obtenus à l'aide de la chambre noire et sous l'influence de la lumière, peuvent, dans une certaine mesure et à un certain degré, être le produit de la pensée, de l'esprit, du génie et de l'intelligence de l'opérateur ;
Que leur perfection, indépendamment de l'habileté de la main, dépend en grande partie, dans la reproduction des paysages, du choix du point de vue, de la combinaison des effets de lumière et d'ombre, et en outre, dans les portraits, de la pose du sujet, de l'agencement des costumes et des accessoires, toutes choses abandonnées au sentiment artistique et qui donnent à l’œuvre du photographe l'empreinte de sa personnalité ;
Considérant que dans l'espèce, les portraits du comte de Cavour et de lord Palmerston, par ces divers caractères peuvent être considérés comme des productions artistiques et qu'ils doivent jouir de la protection accordée par la loi de 1793 aux œuvres de l'esprit ; »1

Le droit à l'image
Cinq ans plus tard, c'est le droit à l'image qui sera reconnu au nom du respect de la vie privée. Alexandre Dumas avait soixante-cinq ans lorsqu'il s'éprit d'une actrice américaine, Adah Menken, qui avait la moitié de son âge. Celle-ci jouait alors à Paris dans une pièce de théâtre où elle apparaissait sur un cheval .
Les deux amants se rendirent chez le photographe Liébert qui réalisa des clichés de miss Adah, dans des tenues plus ou moins légères, seule ou dans les bras de Dumas. L'une de ces photos sera d'ailleurs « autorisée mais sans étalage » par la censure.
A l'époque, il était d'usage que lorsqu'un photographe réalisait des photos d'une personnalité, il pouvait ne pas les faire payer et remettait gratuitement ces photos au modèle, dont des portraits-cartes en grand nombre.
En contrepartie, le photographe pouvait vendre les portraits-cartes au public. C'était le cas pour ces photos que Liébert avait mis en vente et qui ont commencé à circuler dans le Tout-Paris, créant le scandale.
 

A. Dumas et Adah Menken, BNF
A. Dumas et Adah Menken, BNF













A. Dumas et Adah Menken, BNF


                Edmond Lepelletier a rapporté plus tard que Verlaine en fit un poème :
« (…). Verlaine a, de plus, publié divers triolets et quatrains satiriques, comme l’épigramme sur la photographie représentant Alexandre Dumas, en manches de chemises, tenant Miss Ada Menken, la belle écuyère des Pirates de la Savane2, sur ses genoux, dans une pose très suggestive :
L’Oncle Tom avec Miss Ada,
C’est un spectacle dont on rêve.
Quel photographe fou souda
L’Oncle Tom avec Miss Ada ?
Ada peut rester à dada,
Mais Tom chevauche-t-il sans trêve ?
L’Oncle Tom avec Miss Ada
C’est un spectacle dont on rêve ! »3
Alexandre Dumas se ravisa peu après et intenta un procès au photographe pour faire interdire la vente de ces photos. Il fut débouté en première instance :
« Attendu qu'il est constant que c'est sur la demande de Liébert et Cie que Dumas est allé dans leur atelier, et qu'il y a posé soit seul, soit avec Adah Menken, pour la composition de clichés dont il savait que les épreuves devaient être vendues et publiées par les défendeurs ; que ces derniers n'ont reçu de lui aucune rémunération pour travail et leurs déboursés, et qu'au contraire, ils lui ont remis gratuitement, sur sa demande, un certain nombre d'épreuves, pour prix du droit qu'il leur abandonnait de vendre au public des épreuves semblables ; (…)
Déclare Alexandre Dumas père mal fondé en sa demande, l'en déboute et le condamne aux dépens. »
Il fit appel de ce jugement et proposa alors de racheter les clichés.
Par jugement du 25 mai 1867, la Cour d'appel lui donna raison, se référant à l'usage quant au paiement des photos et interdisant la vente au public.
« La Cour
Considérant que par une convention tacite qui naissait des faits intervenus entre les parties, Liébert a dû se croire autorisé à publier les photographies dont il s'agit dans la cause, à charge par lui de ne point réclamer à Alexandre Dumas le prix des exemplaires qu'il lui avait livrés;
Considérant que, cette concession résultait pour lui d'un usage établi dans le commerce de la photographie ; mais que cet usage même veut, dans ce cas, que la publication et la vente cessent lorsque celui qui les a autorisées par son silence déclare formellement retirer son autorisation et offre le prix de la photographie ; (…)
Donne acte à Liébert de l'offre faite par l'appelant de lui payer le prix des photographies dont il s'agit dans la cause;
Fixe le montant de ce prix à la somme de 100 fr.; ledit paiement étant effectué, il est dès à présent interdit à Liébert de vendre et de publier lesdites photographies, sous peine de tous dommages-intérêts;
Dit que les clichés seront remis à Alexandre Dumas; »4
L'usage était ainsi conforté par la jurisprudence et chacun pouvait désormais s'opposer à la diffusion publique de son image.
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Louis Pierson, La photographie considérée comme art et comme industrie, 1862.
Cette pièce fut jouée au Théâtre de la Gaité au début de 1867.
Edmond Lepelletier, Paul Verlaine, 1907.
4  Compte-rendu d'audience dans Le Figaro du 27 mai 1867.

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