Il est communément admis que c'est à Semmelweis que revient le mérite d'avoir découvert les infections nosocomiales et d'avoir ébauché les moyens de les combattre. Et ceci bien avant que Pasteur n'en élucide les mécanismes.
Ce médecin obstétricien hongrois avait en effet remarqué, en 1847, que dans la maternité où il exerçait à Vienne, la fièvre puerpérale faisait beaucoup plus de victimes dans l'un des pavillons servant à l'instruction des étudiants, que dans l'autre pavillon où exerçaient des sages-femmes. Les étudiants pratiquaient des autopsies avant de venir dans le service et on savait qu'un médecin qui se coupait lors d'une autopsie pouvait en mourir. Semmelweis fit le rapprochement et préconisa que les étudiants se lavent les mains à l'entrée du service. Le taux de mortalité chuta alors considérablement.
C'est le docteur Destouches, qui sera plus connu par la suite sous son nom de plume Louis- Ferdinand Céline, qui a fait connaître Semmelweis en lui consacrant sa thèse de médecine.
Or, dès 1815, le chirurgien Jacques-Mathieu DELPECH publiait un Mémoire sur la complication des plaies et des ulcères connue sous le nom de pourriture d'hôpital.
Il rendait compte des observations qu'il avait faites depuis plusieurs années dans les hôpitaux où les blessés des guerres napoléoniennes affluaient en grand nombre, dans les conditions d'hygiène que l'on peut imaginer.
Il souligne d'abord que les maladies nosocomiales suscitent peu d'intérêt chez ses confrères malgré les ravages qu'elles font dans les hôpitaux. Il rend hommage au docteur Pouteau (1724-1775) qui est le seul à avoir observé la "pourriture d'hôpital" avant lui.
Il en décrit les symptômes et explique en quoi elle est différente de la gangrène avec laquelle elle est souvent confondue.
Il constate que cette pourriture d'hôpital ne concerne habituellement que les blessés des hôpitaux, qu'elle est très contagieuse, se propage à partir des plaies au contact de l'air, des instruments souillés, de la charpie réutilisée, des doigts, des vêtements des médecins qui peuvent transmettre la « matière contagieuse » jusqu'à l'extérieur de l'hôpital.
Il insiste sur la nécessité de refermer les plaies rapidement pour supprimer le contact avec l'air, alors qu'on pensait à l'époque au contraire que la suppuration facilitait la cicatrisation .
Il observe aussi l'influence bénéfique d'une bonne ventilation dans les salles d'hôpital. Pour purifier l'air, le gaz muriatique (ancienne appellation du gaz chlorhydrique) produit à l'aide des capsules guytoniennes (du nom du célèbre chimiste Guyton de Morveau) aura sa préférence.
Il remarque que la cautérisation ou l'amputation font souvent disparaître les symptômes généraux de la maladie et que c'est donc « l'affection locale » qui est la cause première.
Il va alors chercher à traiter cette affection locale avec les désinfectants de l'époque : le vinaigre, des acides plus ou moins dilués, la poudre de charbon,...
Voici ses conclusions, qui occupent les deux dernières pages du Mémoire :
« La certitude que nous avons acquise de la propriété qu'ont les miasmes contagieux de s'attacher aux linges à pansement, à la charpie, aux étoffes, à la peau, aux instrumens de métal, nous a souvent fait désirer des précautions plus efficaces que celles que nous étions libres de prendre.
Nous sommes assurés que les procédés ordinaires du blanchissage ne suffisent pas pour désinfecter le linge, et qu'il est très dangereux à employer de nouveau, sans autre précaution, quand il a déjà servi pour des plaies entachées. Nous aurions souhaité qu'après avoir été décrassé avec soin, il eut été mis à macérer dans de l'eau chargée d'acide muriatique. La charpie ne devrait jamais être confectionnée par les malades; elle ne devrait pas séjourner dans les salles; elle ne devrait pas être confiée en grandes masses aux élèves, qui renferment le superflu dans leurs tabliers à pansement pour l'employer plus tard, et après qu'elle s'est chargée de miasmes; quand une certaine quantité a déjà paru dans les salles, elle ne devrait pas y être rapportée sans avoir été exposée au gaz muriatique; dès que la pourriture paraît dans une salle de blessés, les élèves ne devraient plus appliquer un brin de charpie sur les plaies, sans l'avoir présenté au goulot d'un flacon guytonien, dont les boîtes d'appareil devrait être garnies pour cet usage; on devrait faire déposer à l'hôpital l'habit que les élèves ont l'habitude de mettre pour faire les pansemens et, après le service, ces vêtements devraient être désinfectés par la fumigation muriatique; enfin, les mains, les instrumens devraient être lavés fréquemment avec l'acide muriatique étendu dans une assez grande quantité d'eau. Ces soins paraîtront minutieux; mais ils sont susceptibles d'une grande simplicité; et s'ils doivent être utiles, que l'on réfléchisse au nombre incalculable de malheurs qu'ils peuvent prévenir ! »
Comme on le voit ces observations sont plus complètes et plus générales que ce que redécouvrira Semmelweis plus de 30 ans après. Celui-ci aura eu le mérite de découvrir la cause de la fièvre puerpérale alors que les observations de Delpech concernaient les blessés de guerre. Mais dès 1815, on connaissait les infections nosocomiales et les règles d'hygiène pour les prévenir avaient été énoncées par Delpech, notamment la nécessité de laver les mains et les instruments. Bien sûr, il n'en connaissait pas les raisons, il s'agissait d'une découverte empirique.
Contrairement à Semmelweis qui s'est heurté au scepticisme de ses confrères, ce Mémoire de Delpech suscita l'intérêt de l'Académie des Sciences. Les académiciens Portal et Deschamps rendront un rapport favorable. C'est d'ailleurs à la suite de ce rapport que Delpech fut nommé correspondant de l'Académie.
Mais les réflexions pertinentes de Delpech sont tombées dans l'oubli. Pourquoi ses recommandations en matière de prévention n'ont-elles jamais été appliquées avant les découvertes de Pasteur dans la deuxième moitié du XIXème siècle ?
La réponse est peut-être incluse dans cette question : tout reposait sur des observations sans que l'on puisse en donner la moindre explication. Lorsque les mécanismes restent inconnus, le doute subsiste puisqu'il fallait faire confiance à Delpech ou bien vérifier ses affirmations avec un grand nombre d'observations comme il l'avait fait lui-même1. Il n'a d'ailleurs jamais chiffré les progrès qu'apportait la prévention au contraire de Semmelweis qui fournissait des données précises.
On peut supposer que ses préconisations ont pu apparaître comme des contraintes supplémentaires pour les médecins et un surcoût pour les hôpitaux, dont l'intérêt ne semblait pas évident.
Il faut aussi souligner qu'il était le premier à s'intéresser à ce sujet après Pouteau, qui l'avait à peine défriché2.
Enfin, on peut sans doute ajouter que Delpech fut un pionnier reconnu de la chirurgie ostéo-articulaire et de l'orthopédie et ceci a peut-être occulté le reste de son œuvre.
Mais une dernière question demeure : près de deux siècles plus tard, le nom de Semmelweis est attaché à la découverte des maladies nosocomiales alors que celui de Delpech reste inconnu.
C'est probablement qu'il n'a pas eu la chance de recevoir l'hommage d'un écrivain de renom comme Céline. Il est temps de rendre justice à Jacques-Mathieu Delpech.
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Qui était Jacques-Mathieu DELPECH (1777-1832) ?
Il a commencé très jeune, à l'âge de 15 ans, à apprendre l'anatomie et la chirurgie à l'hôpital de La Grave à Toulouse de 1789 à 1793.
Il débute sa carrière en 1793 comme chirurgien assistant dans l'Armée des Pyrénées. Il y restera jusqu'en 1798.
De 1799 à 1802, il exerce à l'hôpital militaire Saint-Jacques de Toulouse qui est alors ravagé par la « pourriture d'hôpital ». Il commence ses premières observations sur ce sujet. Entre-temps, il présente sa thèse de médecine en 1801 à Montpellier. La même année, il participe à la création de la Société de Médecine.
Il est ensuite employé par les hôpitaux de Paris de 1803 à 1809, où il assiste le chirurgien Boyer dans ses opérations.
Il envisage alors de présenter sa candidature à la chaire de médecine opératoire laissée vacante par Sabatier mais se retire finalement et laisse la place à Dupuytren.
En 1812, il obtient par concours le poste de professeur de chirurgie clinique à la Faculté de médecine de Montpellier. La ville accueille de nombreux blessés et ce sera pour lui l'occasion de poursuivre ses observations sur la pourriture d'hôpital.
Il s'intéressera ensuite à la chirurgie réparatrice et à l'orthopédie. Il aura notamment l'idée de la section sous-cutanée des tendons pour opérer comme il l'explique lui-même « hors du contact de l'air ».
Il publie en 1828 son traité De l'orthomorphie. Il dirige alors l'Institut d'orthopédie qu'il a fondé.
Il est mort en 1832, assassiné pour des raisons non élucidées.
Il était membre de l'Académie de médecine depuis sa fondation en 1820.
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1 En 1822, A.-F. Ollivier, à partir de ses propres observations, confirma certaines conclusions de Delpech mais en contesta d'autres dans un ouvrage très polémique Traité du typhus traumatique, gangrène ou pourriture des hôpitaux.
2 La principale conclusion de Pouteau fut d'indiquer que les linges ou la charpie servant aux pansements devaient être lavés soigneusement (il précisait que le savon ne suffit pas) et ne pas être touchés par des mains infectées.