Le 29 avril 1951,
le Figaro littéraire publiait sous le
titre « Un portrait inconnu de Rimbaud ? » une lettre qui lui avait été adressée par René Char et Jacques
Dupin, accompagnée d’une reproduction de ce portrait :
En 1937, M. Albert Tenaillon, conservateur du musée
Vivenel à Compiègne, faisait l’achat chez M. Baumone, antiquaire de la ville,
d’un portrait de jeune homme peint à l’huile sur carton. Ce portrait, signé A.
Garnier, mentionnait comme date d’exécution : 1873. Cependant, au dos du carton
figuraient les lignes suivantes écrites et signées d’une encre pâlie, mais très
lisible :
Portrait du Poëte Arthur Raimbaut.
Je l’ai fait en 1872 à Paris, Bard d’Enfer,
en face la porte du Cimetière Montparnasse.
Portrait du Poëte Arthur Raimbaut.
Je l’ai fait en 1872 à Paris, Bard d’Enfer,
en face la porte du Cimetière Montparnasse.
Garnier
M. Albert Tenaillon, aujourd’hui conservateur honoraire, s’enquit auprès de l’antiquaire de la provenance de ce portrait. Il lui fut répondu qu’il avait été cédé contre une petite somme d’argent par un capitaine de gendarmerie, le capitaine Guy. L’antiquaire ignorait la personne et l’œuvre de Rimbaud.
En possession de ce portrait dont nous donnons ci-contre la reproduction, nous nous sommes attachés à retrouver la trace du peintre qui en est l’auteur. Nous croyons que ce ne peut être qu’Alfred-Jean Garnier, né à Puiseaux, qui exposa diverses œuvres au salon de Paris, de 1874 à 1878. On lui doit entre autres une tête de l’acteur Truffier, un assassinat du duc de Guise et une Solange.
La manière de Garnier, toute académique, reflète l’enseignement de son maître Cabanel ; toutefois, il ne lisse pas ni ne dramatise artificiellement les traits du modèle, mais vise, au contraire, à faire ressemblant.
Tel parait être cet Arthur Rimbaud (1) qu’il a rencontré et peint en l’orthographiant ensuite Raimbaut.
René Char et Jacques Dupin.
(1) « ... Là, je bois de l’eau toute la nuit. Je ne vois pas le matin, je ne dors pas, j’étouffe. Et voilà. » ( A. Rimbaud ; Lettre à E. Delahaye. Paris, juin 1872.)
M. Albert Tenaillon, aujourd’hui conservateur honoraire, s’enquit auprès de l’antiquaire de la provenance de ce portrait. Il lui fut répondu qu’il avait été cédé contre une petite somme d’argent par un capitaine de gendarmerie, le capitaine Guy. L’antiquaire ignorait la personne et l’œuvre de Rimbaud.
En possession de ce portrait dont nous donnons ci-contre la reproduction, nous nous sommes attachés à retrouver la trace du peintre qui en est l’auteur. Nous croyons que ce ne peut être qu’Alfred-Jean Garnier, né à Puiseaux, qui exposa diverses œuvres au salon de Paris, de 1874 à 1878. On lui doit entre autres une tête de l’acteur Truffier, un assassinat du duc de Guise et une Solange.
La manière de Garnier, toute académique, reflète l’enseignement de son maître Cabanel ; toutefois, il ne lisse pas ni ne dramatise artificiellement les traits du modèle, mais vise, au contraire, à faire ressemblant.
Tel parait être cet Arthur Rimbaud (1) qu’il a rencontré et peint en l’orthographiant ensuite Raimbaut.
René Char et Jacques Dupin.
(1) « ... Là, je bois de l’eau toute la nuit. Je ne vois pas le matin, je ne dors pas, j’étouffe. Et voilà. » ( A. Rimbaud ; Lettre à E. Delahaye. Paris, juin 1872.)
Pierre Petitfils, qui
était alors le rédacteur en chef du Bateau
Ivre, bulletin des amis de Rimbaud, apporta son soutien enthousiaste dans
un courrier publié la semaine suivante et où il commence par l’affirmation
« Il ne fait aucun doute que nous sommes en présence d’une œuvre
authentique. La signature de l’artiste l’atteste (…).» Il rappelle
notamment que Rimbaud habitait au début de 1872 dans la rue Campagne-Première,
tout près de ce Boulevard d’Enfer (actuellement le Boulevard Raspail). Il argue
d’une ressemblance quasi « photographique ».
Il s’ensuivit une
polémique alimentée par des lecteurs où les sceptiques l’emportaient sur les
convaincus. Un lecteur s’étonnait notamment du fait que le Rimbaud apparaissant
sur ce portrait ne correspondait pas aux descriptions qui en avaient été données à l’époque, d’un
jeune homme de 17 ans à la mise négligée,
« terrible d’aspect » selon l’expression employée par
Verlaine. Un autre lecteur remarque que la raie dans les cheveux est à droite sur ce tableau alors
qu’elle était à gauche. Un troisième s’étonne que le portrait ait été fait dans
la rue en plein hiver.
Un peu plus tard, c’est un
article paru dans la Revue Palladienne n°17
et signé de Jules Lefranc qui exprime de nombreux doutes sur l’authenticité en
précisant notamment : « (…) on attribue sans hésitation à cet artiste,
duquel on ne sait rien, duquel on n’a jamais vu une seule ligne d’écriture,
l’annotation manuscrite relevée au dos du carton. »
Quant à Pierre Petitfils, onze
ans plus tard, dans sa biographie de Rimbaud, il considère toujours le portrait
comme authentique mais il ne le trouve plus ressemblant : « Il semble que l’auteur, le peintre
Alfred-Jean Garnier, ait fait une esquisse directe en 1872, puis qu’en 1873
(date du tableau au recto) il ait ajouté maladroitement une couleur pesante et
blafarde, qui a supprimé toute ressemblance. »
Lors de l’exposition à la BNF en
1954, ce portrait est présenté comme « présumé » puis à l’exposition
au Musée d’Orsay en 1991, le catalogue indique : « (…). Il s’agit
d’une huile sur carton, de facture assez grossière, signée Garnier :
peut-être (c’est le plus vraisemblable, mais nous n’avons pas pu faire de
comparaison de signatures), le peintre Alfred-Jean Garnier né à Puiseaux dans
le Loiret. »
Pourtant, Jean-Jacques Lefrère, auteur d’une biographie de Rimbaud parue en 2001, se prononce pour
l’authenticité : « Garnier n’a gommé ni les lèvres
épaisses, ni les boursouflures et les méplats du bas du visage des Rimbaud : « la marque de la famille » selon Julien
Gracq. (…). Ressemblant et authentique, ce portrait l’était
pourtant, mais il ne correspondait pas à l’imagerie traditionnelle : c’est son
principal défaut. Le poète y apparaît même, sacrilège suprême, sensiblement
vieilli avant l’âge.»[1]
Il
reconnait que l’identité du peintre n’est pas formellement établie alors que
pour les découvreurs René Char et Jacques Dupin ce ne pouvait être qu’Alfred-Jean
Garnier. Ils ne disaient pas pourquoi mais on peut le deviner : c’est le
seul peintre de cette période figurant au Dictionnaire
critique et documentaire des peintres (plus familièrement appelé le Bénézit
du nom de son auteur), dont le nom et le prénom correspondent à la
signature au recto « A. Garnier ».
Alors
qui était Alfred-Jean Garnier ? J’ai pu retrouver des éléments de sa
biographie et sa signature.
Le
Bénézit indique qu’il est né à
Puiseaux dans le Loiret. Les archives de l’état civil du Loiret sont en ligne à
partir de 1833 et on y trouve un seul Garnier né à Puiseaux en 1848. Il
s’agit d’Emile Marie Alfred Garnier né le 9 décembre 1848 (document 101).
Il
a 21 ans lorsqu’il entre à l’Ecole Nationale des Beaux-Arts à Paris le 20 mars
1869 dans la section Sculpture[2].
Il
fait ensuite son service militaire dans la Garde Nationale et participe à la
défense de Paris lors du siège par l’armée prussienne en octobre 1870. Il fera
ensuite des périodes d’exercice comme réserviste jusqu’en 1890. La profession
déclarée à l’armée est toujours celle de sculpteur. Ses adresses successives figurent
sur son dossier militaire que l’on peut consulter aux Archives de Paris.[3]
Il
résida d’abord au 24, rue du Cherche-midi, à proximité de l’Ecole des Beaux
Arts, puis au 27, rue de Fleurus et enfin 19, rue de Couesnon dans le 14ème
arrondissement de Paris.
On
le retrouve au Bottin du commerce de
Paris, où il est enregistré comme peintre avec son adresse, ce qui permet de savoir qu’il a occupé son atelier de
la rue de Fleurus de 1873 à 1875. Dans la liste des peintres ayant exposé au
Salon de 1874[4], on
trouve un Alfred-Jean Garnier dont l’adresse est le 27, rue de Fleurus et on
est donc sûr qu’Emile Marie Alfred Garnier et Alfred-Jean Garnier sont bien une
seule et même personne.
Pour
la suite de sa carrière, l’écrivain Hector Malot nous a laissé des indications.
Il raconte dans Le Roman de mes romans,
1896, que lorsqu’il a écrit Mondaine
il a voulu se documenter car il mettait en scène un peintre émailleur et, pour
en savoir plus, il s’était rendu chez Garnier : « (…) rue de Couesnon, là-bas, bien loin
derrière la gare Montparnasse où, dans un petit jardin, je trouvai un atelier
de peintre émailleur avec un four pour la cuisson, et l’occupant deux jeunes
artistes, MM. Grandhomme et Garnier, qui se mirent à ma disposition avec une
entière bonne grâce, en me permettant d’assister à leur travail (…)».
Ces
informations sont précisées par le Bénézit,
dans la notice consacrée à Paul Grandhomme, peintre sur émail :
« (…). En 1877, Alfred-Jean Garnier devint son élève ; ils
s’associèrent en 1888 et travaillèrent et signèrent ensemble. (…). »
Garnier
et Grandhomme ont exposés leurs œuvres dans plusieurs Salons. On peut en voir aujourd’hui
quelques-unes au Musée d’Orsay (Galerie Symboliste). Selon la notice consacrée
à Garnier au catalogue en ligne du Musée d’Orsay, il est mort à Bazoches en
1908.
Il
s’était marié et nous disposons ainsi d’un exemplaire de sa signature. Il avait
épousé le 18 juillet 1885 Marie Mathilde Missier à la mairie du 14ème arrondissement.
Il a apposé sa signature avec son prénom sur le registre d'état civil, ce qui
permet de comparer les signatures, ainsi que l'écriture du prénom et celle du texte au dos
du tableau, et de constater qu' elles sont différentes.
Nous sommes donc en présence d’un tableau qui a peut-être été peint par Alfred-Jean Garnier mais rien ne le prouve. A quelle date ? En 1873 selon le peintre ou en 1872 selon l’inscription portée au verso, par une main qui pourrait être celle du peintre mais rien ne le prouve, en tout cas pas celle d’Alfred-Jean Garnier.
Les
« découvreurs » René Char et Jacques Dupin affirmaient que « le
peintre ne peut être qu’Alfred-Jean Garnier ». Dans ce cas, il faudrait
bien admettre que l’annotation au verso, avec l’opportun changement de date concordant
avec l’endroit indiqué et l’adresse de Rimbaud à cette époque, aurait été
rajoutée par quelqu'un d’autre que le peintre.