Arthur Rimbaud
a séjourné à Paris du mois de septembre 1871 au début mars 1872
puis en mai-juin de cette même année. Auparavant, il avait déjà
fait deux brefs voyages à Paris depuis sa ville natale de
Charleville.
Les nombreuses biographies de Rimbaud ont décrit ce séjour dans la capitale avec plus ou moins de précisions. La plus récente et la plus complète a été publiée en 2001 par Jean-Jacques Lefrère, décédé l'an dernier. Le séjour de Rimbaud à Paris y est décrit avec beaucoup de détails et occupe plus d'une centaine de pages. Ce récit comporte néanmoins quelques erreurs ou approximations.
Les nombreuses biographies de Rimbaud ont décrit ce séjour dans la capitale avec plus ou moins de précisions. La plus récente et la plus complète a été publiée en 2001 par Jean-Jacques Lefrère, décédé l'an dernier. Le séjour de Rimbaud à Paris y est décrit avec beaucoup de détails et occupe plus d'une centaine de pages. Ce récit comporte néanmoins quelques erreurs ou approximations.
Les
deux premières fugues
Rimbaud
avait pris le train une première fois pour Paris à la fin août
1870, il avait alors seize ans. Il avait voyagé sans billet et avait
été arrêté à l'arrivée à Paris. Après quelques jours passés
en prison, il avait été renvoyé à Charleville.
Il
reviendra fin février–début mars 1871 pour un bref séjour d'une
quinzaine de jours. On ignore où il a logé durant ces quinze jours
mais selon plusieurs témoignages1,
il s'est présenté à l’improviste chez le caricaturiste André
Gill.
Cet
épisode a été confirmé notamment par son ami d’enfance Ernest
Delahaye2
et par Verlaine dans Les Hommes d’aujourd’hui : « A
son premier voyage, il avait effarouché le naïf André Gill. ».
André Gill, de son véritable nom Louis Gosset de Luynes, était
déjà un caricaturiste reconnu à l'époque. Il avait publié ses
caricatures dans La Lune jusqu'à
son interdiction en 1868 puis dans L'Éclipse
qui avait pris la suite.
Pour Lefrère, qui décrit l’endroit en détail, Rimbaud s’est présenté à l’adresse où Gill avait son atelier 89 rue d’Enfer (actuelle rue Henri Barbusse). Mais ce n’est pas la bonne adresse, Gill ne s’étant installé rue d’Enfer qu’à partir de 1874 comme le montre les documents des Archives de Paris. Il n'y avait pas de véritable cadastre à Paris à cette époque mais des « calepins » qui donnaient un descriptif des immeubles avec le nom des locataires au 1er janvier de chaque année, pour calculer notamment le montant de la « contribution mobilière » et de la patente éventuelle.
Son
biographe Charles Fontane indique qu’à cette période « entre
la guerre et la Commune » (donc en février-mars
1871) l’atelier de Gill était au 13 Boulevard Saint Germain3.
Cette adresse est confirmée par Étienne Carjat, qui fut
caricaturiste avant d'être photographe, et était un ami de Gill.
Gill avait participé à la Commune en tant que membre de la
Fédération des Artistes et avait dû se cacher dans Paris à la fin
de la Semaine sanglante, pendant plusieurs mois. Carjat a raconté
plus tard sa cavale dans Le Journal en 1895. Il fut notamment hébergé par le dessinateur
Félix Régamey puis par le tapissier Lapierre, près de la rue
Notre-Dame de Lorette où Carjat avait son atelier. Il précise que
Gill avait regagné son atelier « boulevard Saint Germain »
au mois d'octobre 1871.
La
rencontre avec Verlaine, rue Nicolet
Quelques
mois plus tard, dans la deuxième quinzaine de septembre 1871,
Rimbaud revient à Paris à l'invitation de Verlaine. Il lui avait
auparavant envoyé des poèmes et lui avait fait part de son souhait
de venir à Paris, en précisant qu'il était « sans
ressources ». Il est attendu à la Gare de l’Est par
Verlaine et le poète et inventeur Charles Cros, mais ils vont le
manquer. Rimbaud se rendra seul au domicile de Verlaine, qui vivait
avec sa femme Mathilde née Mauté chez ses beaux-parents au 14 rue
Nicolet, où Verlaine et Cros vont le retrouver un peu plus tard.
Il
logera quelques jours rue Nicolet puis va bénéficier d’une
hospitalité « circulaire » selon l’expression
de Verlaine de la part de quelques poètes parnassiens qui vont
s’efforcer de l’héberger et d’assurer sa subsistance.
L’épouse
de Verlaine a raconté plus tard l’arrivée de Rimbaud : « Mon
mari était allé l’attendre à la gare. Il le trouva en rentrant à
la maison, dans le petit salon où ma mère et moi l’avions fort
bien accueilli. C’était un grand et solide garçon à la figure
rougeaude, un paysan. (…) Les cheveux hirsutes, une cravate en
corde, une mise négligée. Les yeux étaient bleus, assez beaux,
mais ils avaient une expression sournoise que, dans notre indulgence,
nous prîmes pour de le timidité. Il était arrivé sans aucun
bagage, pas même une valise, ni linge, ni vêtements, autres que
ceux qu’il avait sur lui. Il dîna avec nous, parla peu, puis monta
se coucher, disant que le voyage l’avait fatigué. »4
Verlaine a lui aussi raconté cette première rencontre : « nous
le trouvâmes causant tranquillement avec ma belle-mère et ma femme
dans le salon de la petite maison de mon beau-père, rue Nicolet,
sous la Butte. (…) On dîna. Notre hôte fit honneur surtout à la
soupe et pendant le repas resta plutôt taciturne, ne répondant que
peu à Cros qui peut-être ce premier soir-là se montrait un peu
bien interrogeant (…) lui demandant en quelque sorte compte de la
"genèse" de ses poèmes. L'autre, que je n'ai jamais connu beau causeur, ni même très communicatif en général, ne répondait guère que par monosyllabes plutôt ennuyés.»5
La
maison des Mauté avait deux étages, le deuxième était mansardé.
Les parents de Mathilde occupaient le premier et le couple Verlaine
le deuxième. Rimbaud fut logé dans une chambre du deuxième. On
connaît une photo de cette maison à l'époque. Le calepin de la rue
Nicolet donne la description de l'intérieur. Les mentions Paf (Pièce
à feu) et Psf indiquent les pièces pourvues ou non d'un moyen de
chauffage.
Cette
maison existe toujours mais elle a fait l'objet d'importantes
modifications en 18916.
Seule la structure du rez-de-chaussée et du premier étage a été
conservée et une nouvelle construction a été édifiée autour.
Elle a aujourd'hui quatre étages.
Rimbaud
devra quitter la rue Nicolet pour des raisons qui ont été indiquées
par Mathilde et Verlaine. D’après Mathilde, il avait cassé
volontairement plusieurs objets et « commis des
indélicatesses ».
Verlaine a fait aussi allusion à des
excentricités de Rimbaud qui avaient amenées sa belle-mère a
demander son départ : « D’autres excentricités de ce
genre, d’autres encore, ces dernières entachées, je le crains, de
quelque malice sournoise et pince-sans-rire, donnèrent à réfléchir
à ma belle-mère »7.
On
peut dater, par recoupements, le départ de Rimbaud de la rue Nicolet
entre le 7 et le 18 octobre.8
Quelques
jours avant, Rimbaud avait été présenté aux parnassiens qui se
réunissaient chaque mois pour les dîners des « Vilains
Bonshommes ». C'était lors du dîner du 30 septembre.
Chez
Charles Cros, rue Séguier.
Après
son séjour rue Nicolet, Rimbaud va être hébergé par Charles Cros,
qui était venu l’accueillir avec Verlaine à la gare de l’Est.
C'était un poète parnassien mais aussi un scientifique. Il est
notamment l’inventeur du phonographe un peu avant Edison et s’est
livré à des recherches sur la photographie en couleurs pendant
vingt ans. Il s'est aussi intéressé à la synthèse des pierres
précieuses. Pour ses recherches, il avait le soutien financier de
mécènes comme le duc de Chaulnes ou le comte de Chousy.
Charles Cros par Nadar, BNF |
Charles Cros n’avait pas de domicile fixe à l’époque mais en octobre 1871, il avait loué pour quelques temps un appartement au 13 rue Séguier. Il a indiqué dans une lettre du 6 novembre, qui fut longtemps conservée par le libraire et collectionneur Pierre Bérès, qu'il avait hébergé Rimbaud « pendant la moitié du mois dernier » probablement la deuxième moitié. Pierre Bérès a longtemps refusé de laisser publier le contenu de cette lettre. Elle a finalement été publiée en 2011.9
« Rien
n’est beaucoup changé ici depuis lors ; sauf que je suis
établi charbonnier agglomérateur rue Séguier 13. J’ai loué là,
à la faveur de Chousy un appartement où j’ai mis quelques
bibelots.
Pendant
la moitié du mois dernier j’ai logé Arthur Rimbaud, je le
nourrissais à mes frais, ce qui m’a fort mis en retard pour
l’instant. Aussi j’ai imaginé de faire à quelques uns du
groupe, une petite rente à ce nourrisson des muses. Banville a
apporté chez moi pour ledit Rimbaud des lit, matelas, couverture,
draps, toilette, cuvette, etc, etc. Puis Camille, Verlaine, Blémont
et moi nous donnons chacun quinze francs par mois et je vous demande
si vous pouvez en être avec nous. La souscription a commencé à
partir du 1er novembre. Je regrette de
n’avoir pas de ses vers à vous envoyer mais je suis sûr que vous
les trouverez beau. Les vers de Mallarmé vous en donneront une vague
idée. »
La
boutique du charbonnier était au rez-de-chaussée du 13 rue Séguier.
Elle était louée au nom de Ginisty. J'ignore s'il était parent de
l'écrivain et journaliste Paul Ginisty qui fut ensuite un voisin de
Théodore de Banville.10
L'appartement cité par Cros a sans doute été loué pour une courte
période car on ne trouve ni Chousy ni Cros parmi les noms des
locataires. Selon Jean-Jacques Lefrère, il devait être « assez
spacieux car il était à la fois un atelier pour le peintre [Michel
Eudes], un laboratoire pour le chercheur et un asile de nuit
occasionnel pour les camarades sans gîte. » Gustave Khan a
décrit au contraire un petit appartement: « Cros hébergea
Rimbaud, dans les premiers temps de son arrivée à Paris, dans son
étroit logis de la rue Séguier. »11
Archives de Paris, calepin de la rue Séguier, D1P41089 |
Cros
ne dit pas pour quelle raison il mit Rimbaud à la porte. Pour
Gustave Kahn, il avait chez lui les numéros de la revue L'Artiste
qui avait publié ses poèmes et il s'aperçut un jour que des pages
avaient été déchirées. « Rimbaud se targua de les
avoir lacérées, et non par admiration et pour les posséder. Il les
avaient affectées à différents usages familiers ! Cros se
fâcha ! Qui n'eut fait de même ? »
Louis
Marsolleau a donné une autre version : Charles Cros fut surpris
« quand il aperçut, par un jeu de glaces, son invité
qui s'apprêtait à lui enfoncer un poinçon dans le dos. Du coup il
coupa court à cette hospitalisation dangereuse et malgré le père
Banville, Richepin et les autres, il mit Rimbaud à la porte. »12
Selon
Verlaine, c'est aussi au cours de ce mois d'octobre qu'il conduisit
Rimbaud se faire photographier chez Étienne Carjat. L'atelier était
au 10 rue Notre Dame de Lorette, au centre d'une cour. On peut le voir encore aujourd'hui, les lieux
n'ont guère changé.
A
nouveau chez Gill ?
Au
début novembre, Rimbaud se serait à nouveau rendu chez André Gill
qui l'aurait alors hébergé quelques jours. A ma connaissance, le
colonel Godchot est le seul parmi les biographes de Rimbaud, avec
Lefrère qui reprend le même argument, à avoir mentionné un second
passage chez le caricaturiste. La seule preuve qu'il avance n'est
guère convaincante : c'est une citation du roman à clefs de
Félicien Champsaur, Dinah Samuel, qui
décrit l'arrivée de Rimbaud chez Gill « un matin de
printemps ».
Chez
Banville, rue de Buci
Les
amis poètes parnassiens de Rimbaud vont lui chercher un nouveau
point de chute en s'adressant à l'un d'entre eux, Théodore de
Banville. Rimbaud lui avait envoyé
quelques-uns de ses poèmes en mai 1870.
Banville
habitait alors au 10 rue de Buci, une maison ou un appartement selon
les divers témoignages. Il s'agissait en fait d'un immeuble de cinq
étages avec des chambres mansardées au cinquième. C'est madame de
Banville qui s'est chargée de louer une de ces chambre et de la
meubler pour accueillir Rimbaud.
Théodore de Banville par Nadar, BNF |
Archives de Paris, calepin de la rue de Buci, D1P4169 |
Jean-Jacques Lefrère donne plus de détails. Il indique que Banville vivait en concubinage avec Elisabeth Rochegrosse et précise dans une note qu'il habitait au premier étage et que sa compagne, épouse de Jules Rochegrosse, vivait au deuxième « pour sauvegarder les apparences ».
En
réalité, Banville vivait depuis longtemps avec Elisabeth
Rochegrosse et son fils Georges, qui sera plus tard un peintre
reconnu. Ils étaient installés rue de Buci dans un appartement de
trois pièces au deuxième étage, depuis 1869. Edmond de Goncourt a
raconté un dîner chez le couple dans son journal en août 1870 où
il décrit un intérieur bourgeois et « un bohème
vieillissant ».
Raymond
Lacroix, le biographe de Banville, cite un rapport de police le
concernant, daté de 1873, précisant qu'il « vit en
concubinage, depuis une quinzaine d'années, avec une femme mariée,
de laquelle il a eu un fils âgé aujourd'hui de quatorze ans. »
Banville
mit Rimbaud à la porte au bout de quelques jours. Selon Mallarmé,
qui le tenait de Banville, il était apparu nu à la fenêtre de la
mansarde donnant sur la cour, « lançant par-dessus les
tuiles du toit, peut-être pour qu'ils disparussent avec les derniers
rayons du soleil, des lambeaux de vêtement. »13
Il
logera ensuite à l’Hôtel des Étrangers, puis dans une chambre de
la rue Campagne Première, séjour qui fera l'objet d'un prochain
article.
1
Lefrère cite ceux de Lepelletier en 1907 et Darzens en
1892.
2 Ernest
Delahaye, Rimbaud, l'artiste et l'être moral, 1923.
3
Charles Fontane, Un maître de
la caricature : André Gill, 1927.
4 Ex-madame
Paul Verlaine, Mémoires de ma vie, 1935.
5 Œuvres
complètes de Paul Verlaine, Club du meilleur livre 2, 1959, p 1290.
6 Archives
de Paris, VO11/2381.
7 Œuvres
complètes de Paul Verlaine, Club du meilleur livre 2, 1959, p 1291.
8 Voir
Bernard Teyssèdre, Arthur Rimbaud et le foutoir zutique,
2011.
9 Par
Jean-Jacques Lefrère, dans la préface du livre de Teyssèdre.
10 Voir
l'article de Ginisty dans L'Écho de Paris du 8 février 1930.
11 Gustave
Kahn, Silhouettes littéraires, 1925, p 40.
12 Cité
par Louis Forestier, Charles Cros, l'homme et l’œuvre,
1969, p 99.
13 Cité
par Jean-Jacques Lefrère, Arthur Rimbaud, 2001, p 357.
Bonjour,
RépondreSupprimerA la sortie de son ouvrage, j'avais signalé à JJ Lefrère (documents à l'apui, D1P4 de la rue d'Enfer que vous présentez ainsi que d'autres pièces indiscutables) que Gill n'était pas encore rue d'Enfer lors du séjour de Rimbaud, mais 13 bd St-Germain - à deux pas de la rue du Cardinal Lemoine où Verlaine pouvait contempler Paris en flammes. Il n'a jamais pris la peine de me répondre.
Ne tenez aucun compte des affabulations du colonel Godchot : ses récits concernant Gill sont de la plus haute fantaisie puisqu'ils ne reposent que sur des publications mal informées ou tout aussi fantaisistes.
De même, Champsaur arrivé à Paris que fin 1876 n'avait aucune connaissance des détails de cette histoire. Mais la réputation de Champsaur n'est plus à faire...
Reste Etienne Carjat. Comme Champsaur, il adorait faire parler de lui. Quelle meilleure occasion que Gill qui n’était plus là pour le contredire ? Là encore, franche rigolade ! Entre autre le passage assurant que Gill serait resté caché 3 mois après la guerre civile : le caricaturiste adresse une lettre au Figaro le 7 juin pour donner son sentiment sur la Commune ; et il reprend sa place à L'Eclipse le 23 juillet... Mais on n'en est plus à ça près.
Espérant avoir été un peu utile,
Cordialement
La lettre de Gill, publiée par le Figaro le 9 juin, avait pour but de démentir qu'il avait été arrêté et il expliquait qu'il n'y avait aucune raison pour qu'il le soit. La publication de ses dessins dans l'Éclipse à partir du 23 juillet ne prouve pas qu'il avait regagné son domicile à cette période.
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